Une autre histoire des toits de Paris

🎙️ Daily Green [talk] avec Eytan Levi, co-fondateur de Roofscapes!

nov. 22, 2024

Bonjour,

J’ai immédiatement été intrigué par la start-up Roofscapes et sa volonté de transformer les toits haussmanniens en de nouveaux espaces de vie végétalisés. Il est vrai que réaménager ces nombreuses toitures de la capitale, c’est imaginer une meilleure gestion des eaux pluviales, une meilleure qualité de l’air, et des températures de surface réduites. Qui sait, vous avez peut-être ressenti la chaleur sous un toit en zinc en plein été.

Laisser en l’état ou démolir pour reconstruire, Roofscapes fait le pari que c’est aux bâtiments de s’adapter à nos besoins actuels, et non l’inverse. Cependant, quand il s’agit de patrimoine historique, on imagine bien les obstacles qu’il a fallu surmonter : réglementations, contraintes techniques, et tout ce qui freine parfois l’innovation.

Leur vision est claire : décloisonner les métiers et réinventer une ville avec des approches croisées. Construire une ville qui répond aux enjeux actuels ne doit pas être le pré carré de quelques-uns. Et pour améliorer le cadre de vie du plus grand nombre, il mise sur une approche très intéressante, la mass customization, ou comment adapter une méthode unique à des contextes variés.

Je ne vous en dis pas plus, je vous laisse découvrir Roofscapes et son co-fondateur Eytan Lévi !

Hicham

Avant d’aller plus loin

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Peux-tu te présenter et nous expliquer comment est né le projet Roofscapes ?

Eytan : Avec mes co-fondateurs Olivier Faber et Tim Cousin, nous nous sommes rencontrés au tout début de nos études en architecture à l’EPFL en Suisse il y a une dizaine d'années. Après quelques passages dans des cabinets d'architecture, nous avons cherché une manière de concilier nos engagements écologiques et sociétaux avec notre impact professionnel. Nous nous sommes alors intéressés à la question de l'adaptation du bâti existant face au changement climatique. Assez rapidement, nous avons découvert que s'il existait de nombreuses initiatives pour adapter les sols, les façades et les toits plats, les toits en pente étaient encore laissés de côté par les politiques d'adaptation. Nous avons alors conçu un système de plateformes en bois pour ombrager, végétaliser et rendre accessibles les toits en pente, qui couvrent quatre bâtiments sur cinq dans une ville comme Paris. Après avoir laissé cette idée maturer pendant quelques mois, nous sommes partis terminer nos études au MIT à Boston, où nous avons eu l'occasion de lancer la démarche Roofscapes dans un incubateur de startups. C'était en 2020.

Quels freins avez-vous avez dû lever pour lancer Roofscapes ?

Eytan : Le premier défi était d'ordre technique : les toits en pente ne pouvant ni géométriquement ni structurellement accueillir directement des structures supplémentaires, nous avons passé beaucoup de temps à recueillir les avis de couvreurs, de charpentiers et d'ingénieurs pour comprendre comment supporter nos plateformes. Par ailleurs, il a fallu travailler avec des contraintes réglementaires et démontrer qu'il est possible (et même nécessaire) de protéger le patrimoine en l'adaptant à un climat qui change et des usages qui évoluent. Nos travaux de recherche, d'expérimentation et de sensibilisation pour surmonter les freins existants sont toujours en cours et continueront vraisemblablement pour les années à venir.

Quels sont les impacts concrets de vos toitures sur nos villes ?

Eytan : Les premiers résultats du projet pilote que nous avons livré avec la Ville de Paris montrent une réduction de 17°C à l’intérieur des combles et 32°C à la surface d’un toit en zinc ombragé par notre dispositif. Ces températures plus basses réduisent la dépendance à la climatisation et augmentent le confort thermique des habitants. Nos plateformes permettent également de retenir les eaux pluviales, renforcent la biodiversité urbaine en créant des continuités écologiques pour plantes et pollinisateurs, et donnent accès à de nouveaux espaces extérieurs végétalisés, contribuant à améliorer la qualité de vie en milieu urbain dense.

D’où proviennent le bois, la terre et les végétaux des bacs de végétalisation ?

Eytan : Pour notre projet pilote à l’Académie du Climat, notre partenaire Meha Construction Bois a construit une charpente en pin sylvestre français sur laquelle notre partenaire Topager a installé des bacs en mélèze français. Ces bacs de végétation sont remplis d'un substrat fourni par Faiseurs de Terre, une initiative francilienne qui s'approvisionne dans les chantiers d'excavation du Grand Paris pour fournir des terres très locales. Au niveau des végétaux, nous avons un assemblage d'espèces franciliennes et méditerranéennes. Cette palette végétale est conçue pour résister aux vagues de chaleur et est irriguée de manière low-tech grâce à des bacs de rétention d’eaux pluviales placés sous les surfaces végétalisées.

Justement, peux-tu nous en dire plus sur cette installation sur les toits de l'Académie du Climat à Paris ?

Eytan : En 2024, Roofscapes et la Ville de Paris ont signé un marché public de recherche et développement pour adapter la toiture en zinc de l'Académie du Climat (qui a pris la place de l'ancienne mairie du 4e arrondissement de Paris). Avec les charpentiers-couvreurs Meha Construction Bois et les aménageurs paysagers Topager, nous avons construit une plateforme de 100 m2 sur la toiture en zinc du bâtiment afin de mesurer en conditions réelles notre approche pour l'adaptation des toits parisiens. Pour Roofscapes, ce projet pilote est très important car il nous permet de démontrer l’impact de la solution que nous imaginions depuis des années, de montrer concrètement à quoi ressemble notre démarche, surtout auprès de publics qui ne sont pas familiers avec les notions de végétalisation urbaine, et finalement de diffuser largement la vision que nous portons pour l’adaptation au changement climatique

En quoi Roofscapes vient apporter un nouveau visage au bati, à la construction et à la rénovation ?

Eytan : La démarche portée par Roofscapes permet d'offrir un nouveau récit à des bâtiments qui étaient considérés comme inadaptables à cause de leurs toits en pente et dont les habitants étaient condamnés à souffrir lors des vagues de chaleur. Nous œuvrons donc de manière tactique, toit par toit, pour permettre aux utilisateurs des bâtiments de moins subir les effets du changement climatique, mais également pour que chaque surface urbaine soit mobilisée en faveur de la biodiversité, de la rétention des eaux pluviales, du rafraîchissement urbain et de l'accès à de nouveaux espaces extérieurs. C'est précisément cette complémentarité des impacts qui nous anime au quotidien avec Roofscapes.

Photos - OPhotos - Olivier Faberlivier Faber

Quelle est la suite pour Roofscapes ?

Eytan : Nous développons actuellement plusieurs nouveaux projets d'adaptation de toits à Paris et dans d’autres villes européennes. L’objectif est de tester notre approche sur des typologies de bâtiments variées (écoles, logements sociaux, bureaux, logements ...) et de recueillir les mesures d'impact qui en découlent.

En parallèle, nous continuons d'explorer d'autres pistes pour l'adaptation du bâti existant au changement climatique. Par exemple dans le monde académique, à travers deux cours auxquels nous sommes associés, respectivement à Harvard et à l'ENSCi, dans lesquels les élèves approfondissent les questions liées à l'adaptation au changement climatique du bâti existant avec des filtres différents de ceux avec lesquels nous avons travaillé jusqu’à présent. Ensuite, en poursuivant notre R&D interne sur les questions liées à l'ombrage et à la végétalisation afin de permettre à n'importe quelle toiture de s'adapter. Enfin, en rejoignant des projets de recherche européens pour croiser les pratiques et les enjeux propres à différents territoires.

Qu’est-ce qui t’inspire en ce moment ?

Depuis que nous avons lancé Roofscapes avec Olivier et Tim, j'ai l'impression d'avoir été confronté aux limites des possibilités techniques de plusieurs sujets à travers les projets que nous développons. Dans un premier temps, c'étaient les questions de portance et de structure. Ensuite, ce fut l'irrigation des espaces végétalisés. À présent, ce sont les sujets de maintenance auxquels je pense beaucoup. À chaque fois, nous étions confrontés à des situations en apparence insurmontables et finalement, en discutant autour de nous, nous avons trouvé des solutions pour avancer. Je crois que c'est précisément cette possibilité de réfléchir et de résoudre à plusieurs, entre nous et avec d’autres, des problèmes ignorés jusqu'à présent qui m’inspire le plus dans notre démarche.

Au-delà de notre action pour l’adaptation du bâti existant et alors qu’il me semble de plus en plus difficile d'agir sans être critiqué, voire menacé, j'ai beaucoup d'admiration pour les actions de Claire Nouvian en faveur de la protection marine ou de Victor Castanet contre la maltraitance dans les EHPAD et les crèches. Ces lanceurs d’alertes m’inspirent énormément en montrant que des changements profonds sont possibles au sein de systèmes établis dont presque chacune et chacun d'entre nous profite.

Sur les questions d’activation des toits, qui nous sont chères chez Roofscapes, j’ai beaucoup aimé lire certains passages dans Les Furtifs d’Alain Damasio, un livre dont l’action se déroule en 2041 et dans lequel les toits sont considérés comme des surfaces utilisables au même titre que le sol.

Merci Eytan, ou peut-on vous joindre ?

Merci Hicham pour ces questions, je suis disponible sur www.roofscapes.studio ou hello@roofscapes.studio :)